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Les villes amies du jeu : avantages, facteurs déterminants et comportement actuel des enfants

Les villes amies du jeu : avantages, facteurs déterminants et comportement actuel des enfants

Merci à Gerben Helleman, auteur du blogue Urban Springtime et Chercheur Espace public et villes amies des enfants à The Hague University of Applied Sciences pour cette publication.

Par chance, de plus en plus de municipalités œuvrent à l’aménagement d'espaces publics adaptés au jeu. Toutefois, beaucoup de visions politiques et d’investissements reposent encore sur des hypothèses formulées par des fonctionnaires municipaux ou des fournisseurs d'équipements de jeu. Cela s'explique en partie par le fait que les bonnes évaluations et la mesure de l'impact des espaces de jeu existants et nouveaux sont rares, surtout lorsqu'il s'agit d'espaces de jeu informels. Et lorsque les enfants sont concernés, ils se font souvent demander quels seraient leurs souhaits plutôt que les actions concrètes qu’ils poseraient. Pour obtenir un réel aperçu du jeu à l’extérieur des enfants, il faut observer leur comportement. Dans cet article, je partagerai les résultats préliminaires d’une étude en cours aux Pays-Bas et qui se concentre sur le point de vue de l’enfant. Il se base sur une présentation que j’ai donnée à la conférence Child in the City 2022 à Dublin.

Le jeu libre dans un lieu public est une activité unique pour les enfants. Sans l’intervention d’un adulte, ils peuvent choisir eux-mêmes le lieu, la forme du jeu et les amis avec qui ils jouent. Me basant sur une revue de la littérature (Helleman, 2018), j’ai relevé douze raisons qui expliquent pourquoi il est important de jouer dehors (voir la figure). En résumé : le jeu à l’extérieur est important pour le développement personnel des enfants, pour leur santé, et parce que c’est très amusant. Vous pouvez en apprendre plus sur ces raisons dans cet article : Playable cities: Why?

 

Malgré ces avantages, de moins en moins d’enfants jouent dehors, particulièrement si l’on compare les enfants d’aujourd’hui avec leurs parents et leurs grands-parents. La recherche aux Pays-Bas montre que 69 pour cent des grands-parents ont plus joué dehors qu’à l’intérieur durant leur enfance (Kantar Public, 2018). De nos jours, c’est seulement 10 pour cent; à l’inverse 53 % des enfants passent plus de temps à jouer à l’intérieur qu’à l’extérieur.

C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons amorcé une étude de recherche sur le jeu à l’extérieur chez des enfants du primaire (4-12 ans) de trois quartiers différents de trois villes (Amsterdam, The Hague et Delft) aux Pays-Bas. Notre principale question de recherche est : quels facteurs peuvent avoir une influence positive sur l’usage de l’espace extérieur pour le jeu, et comment les municipalités peuvent-elles y contribuer favorablement? La recherche est toujours en cours, mais nous avons déjà fait une revue de la littérature sur les facteurs qui influencent le comportement de jeu à l’extérieur. De plus, nous avons compté et observé dans des lieux publics pour trouver des réponses à ces questions : qui joue dehors ? les enfants jouent-ils ? Et quel types d’activités font-ils?
Au cours des quelques prochains mois, nous travaillerons aussi avec des enfants de différentes écoles primaires pour parler de la façon dont ils expérimentent l’espace public. Et comment ils occupent l'espace public en fonction de leurs souhaits et de leurs besoins en utilisant des méthodes comme la recherche par amorce photo (photovoice) ou la promenade (walk-along). Au bout des deux années de l’étude, nous souhaitons fournir des recommandations aux municipalités, mais aussi aux urbanistes et concepteurs.

Les facteurs importants

En me basant sur la revue de la littérature, j’ai fait un premier survol des facteurs importants qui ont une influence sur le jeu à l’extérieur et les ai séparés en quatre catégories (voir la figure plus bas).

  1. Facteurs personnels : L’âge et le genre ont un rôle important pour déterminer dans quelle mesure les enfants jouent ou non à l’extérieur, ce que nous verrons plus en détail plus bas. Le choix de jouer à l’extérieur dépend aussi des souhaits que vous avez en tant qu’enfant et qui correspondent à votre caractère et à vos aptitudes. De plus, le temps que vous jouez dehors de façon libre est tout aussi important. Il se peut que vous soyez déjà un enfant occupé avec des devoirs à faire, un entraînement au club de sport ou le service de garde après l’école.
  1. Environnement social : Les parents peuvent jouer un rôle décisif. Considérez-vous que vos parents vous encouragent et vous laissent la liberté de faire ce qui vous plaît à l’extérieur (« la liberté de vagabonder »)? Ou avez-vous des parents qui suivent une éducation plus protectrice, encadrée, car ils sont plus inquiets des accidents ou de ce qu’on appelle le « danger de l’étranger »? L’argent a aussi un rôle à jouer. Par exemple, si vous avez une grande chambre juste pour vous avec plusieurs jouets, peut-être que vous préférerez plus souvent jouer à l’intérieur. Aussi important : y a-t-il d’autres enfants avec qui jouer sur votre rue ou dans votre quartier?
  1. Environnement bâti : La façon dont nous concevons, organisons et gérons nos villes a aussi une grande influence pour déterminer s’il y a assez d’espaces publics et d’aires de jeux pour les enfants. S’ajoutant à la quantité, il y a également la qualité de l’espace public et de l’aire de jeux qui compte beaucoup. Lorsque ceux-ci sont intéressants, variés, inclusifs, invitants et qu’ils représentent un défi, plus d’enfants les fréquenteront. De plus, il est essentiel que ces lieux soient propres, ouverts, accessibles et qu’on puisse s’y rendre sans danger. Par exemple, songez à la valeur ajoutée d’un bon réseau pour les piétons et les cyclistes (connectivité).
  1. Environnement naturel : Il est amusant de grimper aux arbres. Les plantes et l’eau sont géniales pour les enfants qui aiment observer des animaux. Le climat a une influence sur les conditions météorologiques : est-ce qu’il fait trop froid, trop chaud ou trop humide pour jouer dehors? La qualité de l’air (p. ex., le smog) est également un facteur important.

 

Dans notre étude de recherche, nous voulons tester et préciser les facteurs ci-dessus.

Documenter le jeu à l’extérieur chez les enfants
Comme mentionné plus tôt, si vous voulez avoir un bon aperçu du jeu à l’extérieur chez les enfants, vous devez documenter les comportements actuels des enfants. C’est ce que nous faisons dans trois quartiers de Amsterdam, The Hague et Delft. Chaque voisinage a été divisé en zones plus petites, et ces zones sont visitées plusieurs fois l’après-midi après l’école et lorsque la température est sèche. En tant que chercheurs, nous enregistrons le lieu où l’enfant joue, et après quelques minutes d’observation, nous remplissons un court sondage qui porte sur la personne qui jouait, où elle jouait et quels types de jeux ont eu lieu.

Nous n’en sommes qu’à la moitié de ce processus de documentation, mais selon les 747 observations réalisées jusqu’ici, nous avons pu remarquer plusieurs modèles se répétant. Tout d’abord, nous avons vu bien plus de garçons (58 %) que de filles (42 %) jouer dehors. Ceci correspond aux études précédentes menées aux Pays-Bas et en Belgique.

Pour ce qui est de l’âge, nous avons surtout rencontré des enfants âgés de cinq à huit ans (53 %) et de neuf à douze ans (24 %). Ce sont les âges où, en général, les enfants jouent le plus à l’extérieur. De plus, leurs parents leur accordent souvent, à cet âge, une certaine liberté pour jouer un peu plus loin de la maison. Cela augmente la superficie et les options qu’ils ont. Ce n’est pas le cas des enfants plus jeunes; auprès d’eux, il y a plus souvent des adultes qui étaient présents, par rapport aux enfants plus vieux. La plupart du temps, ces adultes n’étaient pas là pour jouer avec leurs enfants, mais plutôt pour superviser – à une distance appropriée, sur un banc, par exemple. De plus, les filles étaient plus « supervisées » que les garçons; 52 % des filles étaient supervisées, par rapport à seulement 38 % des garçons.

Si nous combinons le genre et l’âge, nous obtenons un portrait intéressant. Dans le groupe d’âge plus jeune – de zéro à huit ans – le ratio entre les garçons et les filles étaient pratiquement égal. Mais de grandes différences se dessinent avec l’âge. Les filles de neuf ans ou plus jouaient moins dans les espaces publics que leurs pairs masculins (j’ai déjà abordé les nombreuses causes et solutions d’une telle différence dans : Girls and outdoor play: looking for more equality and equity.)

Nous avons aussi recensé les lieux où les enfants jouaient. Un peu plus de la moitié des enfants jouaient dans des aires de jeu formelles, comme les terrains de jeux ou de sports ou bien la cour d’école (après les heures d’école). Au total, 43 % jouaient dans des lieux qui n’étaient pas prévus à cette fin – ce qu’on appelle les espaces de jeux informels –, en particulier sur le trottoir ou dans des cours intérieures publiques. Étudiant le genre, nous avons remarqué qu’en moyenne, le rapport garçons-filles était égal dans les terrains de jeux et sur les trottoirs, mais que les garçons étaient plus nombreux sur les terrains de sports et les cours.

Nous avons ensuite regardé ce que faisaient les enfants dans ces différents endroits. Il est intéressant de noter que 20 % des enfants ne faisaient « rien ». Ainsi, au lieu de jouer activement, ils se détendaient, socialisaient, traînaient, demeuraient assis, observaient ou parlaient avec d'autres enfants (ce que l'on appelle aussi le jeu réparateur). Par exemple, des filles étaient assises dans une balançoire, mais sans se balancer. Les sports de balle – la seconde activité la plus répandue – étaient particulièrement populaires auprès des garçons plus vieux.

Observations

J’aimerais conclure avec cinq observations générales que nous avons faites durant nos promenades.

La première observation a déjà été faite plusieurs fois auparavant, mais elle mérite que nous la répétions : l’énorme ressemblance entre nos espaces de jeux formels. On voit les mêmes genres de glissades et de balançoires partout. On cite souvent différentes raisons qui expliquent cette uniformité : il faut que ce soit sans entretien, car on épargne ainsi de l’argent, et ce doit être sans danger et à l’épreuve du vandalisme. Peu importe les raisons, la conséquence demeure que l’on voit le même genre de terrains de jeux dans tous les quartiers, avec peu de variations ou de défis.

Deuxièmement, il y a cette tendance que j’aimerais nommer la « compensation »; pratiquement partout où nous avons marché, nous avons vu des éléments de jeu ajoutés dans les lieux publics par les résidents, probablement parce qu’il manque des installations de jeux à courte distance. Nous avons vu des trampolines partout, de toutes formes et qualités différentes. Nous avons aussi observé plusieurs paniers de basketball, des balançoires et des glissades de plastique pour les plus petits.

La troisième observation porte sur la supervision. Les parents aiment surveiller leur enfant pour des raisons de sécurité en société. Comme nous l’avons vu plus tôt, ils le font en demeurant présents physiquement dans les aires de jeux, mais ils font également de la surveillance informelle. De la maison, les parents vérifient de temps en temps si tout va bien. Cela souligne l'importance d'une bonne visibilité dans les aires de jeux. La sociologue urbaine de renommée Jane Jacobs (1961) a appelé cela « les yeux sur la rue » (eyes on the street). J’aimerais ajouter à cela « les oreilles sur la rue », car souvent, les parents surveillent leurs enfants en se basant sur les sons, en écoutant de leur balcon, par une fenêtre ou de la cour arrière.

La quatrième observation porte sur la perte d’espaces publics au fil du temps. Nous remarquons que les espaces publics et aires de jeux ferment de plus en plus. Les cours d’école ferment leurs portes après l’école, pour que leurs terrains de jeux ne soient pas utilisés par les résidents du quartier. Même les cours qui étaient auparavant ouvertes au public sont de plus en plus fermées avec des clôtures, des haies ou des panneaux de signalisation. Et cela va encore plus loin. Au cours des vingt dernières années, la rénovation urbaine a entraîné la suppression complète des espaces naturels dans certains quartiers. Après la démolition de maisons multifamiliales et la construction de maisons unifamiliales, les anciennes cours semi-publiques ont été remplacées par des espaces de stationnement protégés, des jardins privés ou des cours fermées avec des portes dont seuls les résidents ont la clé.

La dernière observation concerne les nouvelles cours fermées. Elles ont été conçues par des architectes ayant pour philosophie les villes amies des enfants. Les enfants peuvent jouer en toute sécurité sur leur propre terrain avec les voisins. Il n'y a pas de voitures ou de personnes non autorisées. Les parents sont heureux avec cette option, car elle leur fait sentir en sécurité. Mais qui en profite réellement? Nous pourrions peut-être les nommer amies de parents plutôt qu’amies des enfants? Après tout, jouer dehors se fait désormais dans un espace fermé. Pour moi, c’est une autre forme de la privatisation du jeu, une réserve, une aire protégée. Les enfants restent dans une sorte de bulle et, ainsi, ne partent pas à l’aventure dans leur propre quartier. Dans la seconde moitié de l’étude, nous voulons discuter de cette observation avec les parents et les enfants.


Cette recherche est cofinancée par Regieorgaan SIA, qui fait partie de l'Organisation néerlandaise pour la recherche scientifique (NWO). Mise à jour : les résultats de l'étude d'observation ont été publiés dans un article scientifique du Journal of Childhood, Education & Society.

Gerben Helleman est un géographe et chercheur urbain dans le domaine de l’espace public et des villes amies des enfants à The Hague University of Applied Sciences. Il est le chef de projet de l’étude ci-dessus, à propos de laquelle il a offert une présentation à la Child in the City conference à Dublin. Il écrit régulièrement sur son blogue blog Urban Springtime sur les défis urbains.


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